L.L. Bean est une entreprise qui m’a inspiré depuis mes premiers achats par catalogue au milieu des années 80. À l’époque, il était le plus grand magasin d’articles et de vêtements de plein air par correspondance au monde. Le rapport qualité-prix et la durabilité de leurs produits étaient tout à fait exceptionnels; meilleurs que Kanuk et Chlorophylle à mon humble avis.
Chaque fois que j’en ai l’occasion, j’aime aller faire un tour à Freeport (Maine, US) pour visiter leurs magasins ouverts 24h/24h 365 jours par année. Ce qui me fascine, c’est que l’esprit L.L. Bean a progressivement influencé la culture de cette petite municipalité.
Chez nous, le seul exemple qui me vient à l’esprit est Cascades à Kingsey-Falls. En avez-vous d’autres?
Une communauté à l’image de son plus grand entrepreneur
Le printemps dernier, j’y suis retourné faire un tour et, encore une fois, j’ai été impressionné par cette culture de qualité et de service qu’on “sent” partout lorsqu’on se promène. Je me demandais: qui était ce L.L. Bean pour que sa vision et ses valeurs soient encore vivantes aujourd’hui?
Comme il n’y a pas de hasard, je suis “tombé” sur le livre L.L. Bean – The Making of an American Icon écrit par son petit-fils Leon Gorman qui, je l’ignorais, a dirigé l’entreprise familiale depuis 1967 jusqu’à sa retraite en 2001.
Ce fut ma lecture des vacances tout récemment.
Une culture inspirée par son fondateur et nourrit par son petit-fils
En 1999, le Wall Street Journal a identifié les 10 entrepreneurs les plus influents du siècle. Avec les Henry Ford, Sam Walton et Bill Gates, on y retrouvait L.L. Bean.
En plus d’être le premier à offrir une garantie de satisfaction à 100% ou argent remis, il a été reconnu comme le fer de lance de l’industrie du marketing direct qui générait, à la fin des années 90, 1,3 trillion d’activités économiques. Il a également redéfini le service aux clients et été le pionnier des catalogues personnalisés selon le profil de la clientèle.
Quant à son petit fils, le gouverneur de l’état du Maine, Angus King, a décrété les 5 et 6 juin: “Leon Gorman Days” pour souligner sa formidable contribution à la vitalité de sa communauté et de l’état du Maine en général.
L’entreprise privée a célébré son centenaire en 2012 et a réussi, pendant tout ce temps, à livrer de la valeur à ses parties prenantes (“stakeholders”): ses clients, les employés, les propriétaires, la communauté et l’environnement.
L’objectif n’était pas la recherche de profits à tous prix, mais à en générer suffisamment pour livrer de la valeur aux gens qui les entouraient ainsi que les environnements sociaux et naturels dans lesquels ils évoluaient.
Le fondateur répétait souvent qu’il mangeait 3 bons repas par jour et qu’il ne pouvait en prendre un 4e 😉
L..L.’s Golden Rule: “Sell good merchandise for a reasonable profit; treat your customers like human beings and they’ll always come back for more” (p.129)
Le parcours et l’évolution du leader qui a pris la relève et a permis à l’entreprise familiale de partir de 4.75M$ de ventes en 1967 pour atteindre près de 1,5 milliards en 2006 sont de puissantes sources d’inspiration.
La force des Gens d’abord
“People truly are the source of vitality, of progress, and of goodness in this and any organization” (p. 275)
La base de leur succès?
Un fondateur intègre avec une passion pour les clients et pour la fabrication de produits qu’il utiliserait lui-même;
Un entrepreneur homme-orchestre qui a su faire évoluer son leadership et ses connaissances pour devenir un gestionnaire de processus de classe mondiale et, finalement, un stratège d’affaires inspirant;
Un leader qui a su conserver le focus et la gestion de l’image de marque, le “brand” L.L. Bean malgré les succès et les incertitudes;
Leurs valeurs à la base de leur culture:
- Héritage plein air: La richesse de l’environnement naturel de l’état du Maine qui stimule autant les valeurs physiques et spirituelles des expérience en plein air
- Intégrité: La qualité (durabilité) des produits, toujours dire la vérité et la garantie de satisfaction 100%; la “Golden Rule” de L.L.
- Service: Traiter les clients comme des êtres humains avec le meilleur service personnalisé que nous aimerions nous-même recevoir et rencontrer nos responsabilités envers les employés, les propriétaires et les communautés.
- Respect: Pour toutes les personnes de notre entreprise, avoir confiance en leur honnêteté et droiture, valoriser leurs talents et leurs points de vue
- Persévérance: L.L. Bean est dans le long terme, beau temps, mauvais temps et ne ferons aucun compromis sur nos valeurs.
KPI et méthodes pour mesurer les Processus et construire l’entreprise “parfaite”
Leon Gordon est un éternel curieux avec un focus-client aussi marqué que celui du fondateur. Progressivement, il est devenu un passionné de l’optimisation des processus d’affaires. Dans son parcours, il a expérimenté et développé un ensemble de KPI qui ont permis à l’entreprise de supporter sa croissance tout en maintenant le focus sur les valeurs établies par son grand-père.
Voici un survol des indicateurs et des méthodes qui lui ont servi à garder le cap, à motiver un équipage et à diriger un “bateau” de plus en plus gros et complexe.
Ratios financiers:
- Dette long terme / équité ou capitaux propres
- Bénéfices (après impôt et autres charges ou EBITDA) / équité ou capitaux propres
- Dividendes / équité ou capitaux propres
“Setting targets for these ratios and achieving them over time, /../, would ensure high-quality financial performance for the enterprise, the owners, and all the stakeholders” (p.124)
“…/ if you get those three right, everything else has to be right. They are at the core of any stragegic busines plan you may have” (p. 125)
Paramètres d’évaluation de l’environnement de motivation des RH:
- clarté des objectifs
- intégration des initiatives entre les unités d’affaires
- esprit d’équipe entre les unités d’affaires
- engagement et volonté à servir
- adéquation des systèmes de reconnaissance
- niveau d’autonomie
- ouverture aux communications
- réputation de l’entreprise et niveau d’appartenance
Ces paramètres ont été à la base de la première évaluation du climat au sein de l’entreprise en 1980. En plus de révéler un grand sentiment de fierté envers la compagnie, sa réputation, son intégrité et son engagement, l’étude a également soulevé certaines lacunes liées à l’incompréhension des objectifs à long terme, au manque de participation des employés aux décisions et aux communications internes à tous les niveaux.
Ces indicateurs constituaient le tableau de bord de gestion du personnel en place et aidaient Leon à établir les priorités sur les stratégies en matière de gestion des ressources humaines.
La stratégie “Best”…pour accroître la qualité de façon continue
“The Best strategy affirmed our commitment ot being demonstrably the best of all the competitors in the quality of products, services and communications” (p.167)
L’intention n’était pas de gagner des prix, mais d’avoir un processus pour mesurer de multiples indicateurs de performance pondérés pour visualiser les opportunités d’amélioration et de guider le personnel de l’organisation à tous les niveaux.
Par exemple, la matrice d’évaluation des services aux clients étaient composés de ces éléments:
- garantie 100%
- retour de la marchandise
- commande téléphonique
- délai à compléter une commande
- articles en inventaire
- livraison
- modifications / réparations
- gestion des requêtes et plaintes
- cadeaux
Pour les mesurer, son personnel procédait annuellement à 35-40 achats chez chaque compétiteurs pour évaluer chacun de ces indicateurs de performance.
En 1987, Consumer Reports a conduit une étude comparative avec la compétition une fois la “Best strategy” implantée. Dans toutes les catégories évaluant la qualité des produits et du service, L.L. Bean a finit premier de classe.
Qualité Totale
Après deux décennies de croissance phénoménale (l’entreprise doublait aux 3 ans), la morosité économique des années 90 les a finalement rattrapé en ralentissement leur vitesse de croisière.
Comme tous les autres indicateurs et processus étaient en place et opérationnels, surtout orientés à améliorer les ventes, Leon Gorman a alors décidé d’implanter progressivement une culture et une gestion de processus plus “lean” à tous les niveaux de l’organisation.
Cette recherche de “Qualité Totale” avait principalement pour objectif un meilleur contrôle des coûts et une réduction des temps d’exécution à livrer de la satisfaction aux clients à toutes les étapes de leur relation avec eux.
L’implantation de cette culture de “Qualité Totale” a également servi à implanter un processus continue de planification autant pour la réalisation de projets ponctuels que pour les stratégies de l’entreprise.
Et les Systèmes dans tout ça?
“When I joined L.L. Bean in 1960, our catalog business was 85 percent of our sales, with the balance being our retail store in Freeport. By the year 2000 our catalog’s share of the business was down to 60 percent, with e-commerce contributing 15 percent and growing fast.” (p. 261)
Le premier site Web de l’entreprise a été lancé en 1995. En 1996, le site a franchi le cap de1.5 million de visiteurs dont 70% étaient “nouveaux” à L.L. Bean. En 2000, les ventes en ligne atteignaient déjà 164 million. L’arrivée de consommateurs “branchés” a également stimulé l’entreprise à réviser les indicateurs de performance dans leur “Best strategy” liés à la logistique de gestion et de livraison des commandes.
Pour avoir visité leurs comptes Facebook, Youtube et Twitter, je “sens” qu’ils ont de la difficulté à se départir de leur réflexe de “push” (catalogue) et à stimuler de véritables conversations avec leurs clients.
Ce que le livre ne dit pas
Sans le savoir, Leon Gorman a naturellement bâtit une entreprise de classe mondiale déjà prête pour le Web lorsqu’il est apparu:
- garantie satisfaction 100%
- servir les clients comme ils souhaiteraient l’être
- fabriquer des produits durables à un prix raisonnables qu’ils seraient fiers d’utiliser
- personnalisation des catalogues selon le profil des clients
- disponibilité 24/365
- répondre aux clients à toutes leurs requêtes dans les meilleurs délais possibles
Cependant, comme Leon était surtout un passionné de G et de P, le livre est plutôt discret sur les systèmes numériques exploités à son époque et silencieux sur ceux mise en place après sa retraite en 2001.
Même si les S sont accessoires aux succès d’une entreprise lorsque la culture orientée à satisfaire les clients et que les processus “lean” en mode d’amélioration continue sont solidement implantés, je suis resté sur mon appétit à propos de leur stratégie en matière de Systèmes numériques.
Le livre se termine en 2006. Même si les ventes issues de leurs environnements numériques ne cessaient de progresser depuis leur premier site Web en 1995, je me demande où en sont-ils rendus aujourd’hui et si leur écosystème numérique leur permet d’exploiter des algorithmes aussi performants que ceux des leaders comme Amazon et Google Shopping.
Sur le plan humain et comme c’est un enjeu névralgique dans tout processus de relève d’entreprise, j’aurais apprécié davantage de détails sur la gestion des communications au sein de la famille entre les générations sous sa direction et le passage du flambeau à un dirigeant non issu de la famille généalogique, mais corporative. Qu’en penses-tu Sylvie? 😉
Je vais le relire
J’ai particulièrement été touché par ce récit. Durant ma lecture, je pouvais sentir le profond respect du leader aux valeurs établies par son grand-père et aux gens qui l’entouraient.
J’admire spécialement sa capacité d’évoluer et de ne pas maintenir à tout prix les processus du passé. Il a eu sa part de doutes sur les stratégies lorsque les rendements n’étaient pas au rendez-vous, mais jamais sur les valeurs.
J’ai réalisé qu’il y a toute une nuance entre être entrepreneur et construire une entreprise pouvant gérer et absorber une telle croissance. Le fait que nous partagions les mêmes initiales me stimule à le considérer comme mentor.
Jim Collins a écrit le livre “De la performance à l’excellence”. Leon Gorman a écrit le parcours et décrit les sentiers empruntés d’une expédition d’affaires “parfaite”.
Je conserve précieusement ce trésor qui aura une place de choix dans mon cœur, dans mes analyses et dans ma bibliothèque. Je vais le relire pour m’assurer de ne pas oublier un détail qui pourrait faire la différence dans mes décisions.
Je vous laisse avec ces trois questions
- Est-ce que les entreprises numériques d’aujourd’hui comme Google, Amazon et Facebook, malgré la richesse qu’elles accumulent, sont guidées par une vision de respect de leurs clients, de leurs employés, de leurs propriétaires, des communautés et des environnements dans lesquels ils interagissent?
- Seront-elles encore là dans 100 ans?
- Nos gouvernements ne devraient-ils pas guider leur politique en matière de développement économique avec des indicateurs de performance visant à générer de la valeur à toutes les parties prenantes et non seulement utiliser des indicateurs financiers favorisant davantage la richesse des Systèmes que celles des Gens?
Comments
10 réponses à “L.L.Bean – Le GPS de l’entreprise “parfaite””
Merci Luc pour ce billet, ça donne vraiment le goût de lire ce livre.
Pour tes 3 questions, pas faciles à répondre comme d’habitude.
La première, je n’ai pas assez de connaissances de ces organisations à l’interne.
Des trois, Google est la seule que j’ai connue du côté clients et employée, ils semblent bien alignés.
Deuxième question, impossible à prévoir, une technologie qui n’a pas été encore imaginée pourrait les rendre désuète en quelques mois.
Finalement, très simple, la réponse est oui, oui et oui!
Merci Philippe pour ton commentaire.
Quant à mes questions et pour ne pas influencer les commentaires, je vais patienter un peu avant de partager mes réponses.
Je vais également faire référence aux questions 1 et 3 dans un prochain billet traitant de la nuance entre la génération de richesse et de valeur.
Bonjour Luc,
Bravo pour ce billet.
À partir des éléments que tu nous as présentés, nous pouvons dégager que cette entreprise a su concilier les trois dimensions fondamentales d’une organisation « Projet, Processus et Personnes » et qu’elle a su maintenir le nécessaire équilibre entre ces dimensions.
Mais encore, elle a su s’adapter à son environnement et c’est la facette la plus complexe de gestion d’une entreprise. Le passage de l’analogique (catalogue) au numérique (e-Commerce) a certainement demandé des efforts importants d’adaptation que les décideurs ont accepté de faire avec les parties prenantes afin d’assurer la continuité de l’entreprise.
Pour tes interrogations…
Dans le numérique, nous assistons à beaucoup de cannibalisme. Socialement parlant, nous ne sommes pas dans la bonne direction, à mon humble avis.
L’adaptation à l’environnement « dans le temps » représente toujours un défi de taille pour l’entreprise et les processus de veille permettant d’assurer une prise de décision efficiente et efficace devraient toujours être au premier plan des activités des dirigeants.
Au delà de l’intuition et de l’expérience, l’analyse (KPI) devrait compter tout autant dans la prise de décision.
Et pour le troisième élément… « Ce qui importe est bien souvent au-delà de ce que nous convenons de voir » Daniel Larouche. Citation à l’intention de nos gouvernants.
Salutations!
Merci Jean-Claude pour ton commentaire.
Pour ajouter à ton dernier point, je reprendrais le message du Petit Prince: “L’essentiel est invisible pour les yeux”. Il faut savoir le décoder autrement.
Leon Gorman “voyait” clairement les valeurs inspirées de son grand-père à perpétuer dans l’ensemble du GPS de l’entreprise.
Excellent résumé Luc! Ça donne le goût de lire le livre!
Pour répondre à tes questions:
1. Je vais dire comme Philippe Jacques, je ne connais pas assez l’organisation à l’interne. Par contre, puisque que je suis un client des 3 Cies, je dirais non pour ce qui est du respect de leurs clients. Surtout pour Facebook et Google, ils nous imposent leur suprématie comme peut faire les Cies pétrolières.
2. Oui, ils ont le mérite d’être les premières et d’avoir un monopole cannibalisme (j’aime le mot utilisé par Jean -Claude Plourde) dans leurs domaines! À quand une vraie règle de libres concurrences loyales sur le net?
3. Oui, mais la politique et le facteur temps serait l’enjeu! La démagogie est beaucoup plus simple et rapide que la pédagogie!
Merci Pierre-Sébastien pour tes commentaires et tes réponses. J’aime bien ta dernière phrase 😉
Les entreprises numériques développent des outils pour consommer plus mais pas nécessairement pour vivre mieux. Est-ce qu’un IPAD est aussi confortable qu’une bonne paire de bottes chaudes? Est-ce qu’on va le garder(l’aimer)aussi longtemps qu’un vêtement qu’on aime. L L Bean s’est intégré à la vie des gens par le confort et le bien-être et non par la productivité. Ce n’est pas nécessairement mieux , mais probablement plus durable.
Félicitations pour ce billet très intéressant.
Merci Michel pour ton commentaire. Une preuve que mon blog intéresse des jeunes curieux 😉
Merci également d’avoir éclairé ma lanterne sur les ratios qui ont guidé cet entrepreneur.
Il a considéré optimiser la productivité dans sa phase “Qualité Totale” sans pour autant sacrifier les valeurs, l’image de marque et le souci de ne pas générer de la richesse uniquement aux propriétaires. C’est un des aspects qui m’a le plus touché et qui est à la base de leur longévité.
[…] livre m’a marqué au point d’écrire ce billet. Il m’a fait prendre conscience de la nuance entre être entrepreneur et construire une […]
[…] l’instar de L.L. Bean, je suis fasciné par les entrepreneurs qui réussissent à implanter une culture […]